Etrangère
Il y a peu, une nièce m'a annoncé sa rupture avec son fiancé, récemment engagé. "Trop de souffrance pour peu de récompense"...Stages d'aguerrissement en série, absence qui s'éternise, pas de nouvelles, elle s'est heureusement vite rendue compte qu'elle ne supporterait pas cette vie-là. Sur le coup, j'avoue avoir été presque choquée, même si je respecte totalement son choix. ...et cela m'a fait réfléchir. Quelles souffrances ? pour quelles récompenses?
Les souffrances : l'absence, l'angoisse, la charge de travail qui nous est dévolue, à nous épouses, la totale disponibilité dont nous sommes censées faire preuve en toutes circonstances, la mobilité,l'abnégation, et pour moi, la plus difficile d'entre toutes, le sentiment de n'être de nul part et de n'appartenir à rien de définitif. Au quotidien, je n'y songe pas, notre vie est réglée en fonction de celle de mon époux.
Les récompenses : je peux affirmer que je suis heureuse dans ce rôle là, j'ai même "adapté" mon métier...Au quotidien, je ne me plains pas, et remercie le Ciel de m'accorder de vivre auprès d'un homme que j'aime et qui m'aime, d'avoir le privilège de pouvoir m'occuper de nos 3 enfants et de pouvoir, en prime, être extrèmement fière de lui, de ce qu'il représente, de ce qu'il accomplit.
Mais quelquefois, à l'approche des anniversaires de nos enfants en particulier, une vilaine petite voix vient me saper le moral. Parce que nous vivons en expatriés dans notre propre pays, il est rare que les goûters d'anniversaire réunissent plus que les copains de classe. Parce que nous vivons toujours à l'autre bout de la France, ou au-delà, il est rare d'avoir la visite de cousins par exemple. Les amis , ceux avec qui l'on aimerait juste boire un café pour s'entendre parler, se comptent sur les doigts d'une main, et sont eux aussi loin.
Quelquefois, je rêve de grandes fêtes d'anniversaire, avec des invitations envoyées auxquelles on répondrait "oui, nous serons là"! Quelquefois, je rêve de soirées passées sur la terrasse à papoter et qui se terminant par un "demain , nous venez à la maison" !
Oui , je crois que pour moi, la seule chose que je pourrais regretter, c'est cette absence chronique d'attachement, de répère. Au fil des ans, l'exaltation des déménagements, de cette possibilité sans cesse renouveler de rencontrer de nouvelles têtes, s'essoufle. Au fil du temps, j'aspire à chérir une bande d'amis que je pourrais rencontrer à mon gré. Je rêve secrétement de connaître le prénom de la boulangère, de ne plus me tromper dans le nom des produits que je commande, typiques de chaque région, de ne plus avoir à apprendre de nouveaux plans de ville...
Quelquefois seulement..je sais que l'anniversaire passé, j'aurai fait de mon mieux pour que l'enfant en question aie passé une belle journée.
Hommage à nos épouses (texte de tradition, lu à notre mariage religieux)
Le Bon Dieu était en train de créer un modèle de femme de militaire et en était à son sixième jour de travail supplémentaire, quand un ange apparut.
Il dit : "Seigneur, il semble que vous avez là beaucoup de soucis. Qu'est-ce qui ne va pas avec ce modèle ?"
Le Seigneur répondit : "Avez-vous vu les instructions concernant cette commande ? Cette femme doit être totalement indépendante, posséder les qualités à la fois du père et de la mère, être une parfaite hôtesse pour quatre invités comme pour quarante, et ce avec une heure de préavis, parer à toute urgence sans manuel, être capable de poursuivre ses activités allègrement même si elle est enceinte et grippée, vouloir bien déménager dans un nouvel endroit dix fois en dix-sept ans, et surtout avoir quatre bras."
L'ange secoua la tête : "Quatre bras ! Impossible !"
Le Seigneur poursuivit : "Ne vous en faites pas, nous ferons d'autres femmes de militaires pour l'aider. Et nous la doterons d'un coeur énorme pour qu'il puisse se gonfler de fierté au récit des exploits de son mari, supporter la douleur des séparations, continuer à se battre régulièrement quand elle est débordée ou fatiguée, et assez grand pour dire "je comprends" même si elle ne comprend pas et dire "je t'aime" sans réserve."
"Seigneur" dit l'ange en lui touchant le bras doucement, "allez vous coucher et prenez un peu de repos, vous pourrez terminer demain."
"Je ne peux pas m'arrêter maintenant" dit le Seigneur, "Je suis si près de réussir à créer quelque chose d'unique. Déjà ce type de femme se guérit toute seule quand elle est malade, peut héberger six invités imprévus pour le week-end, dire au revoir à son mari sur un quai, sur une piste ou dans une gare, et comprendre pourquoi il est important qu'il parte."
L'ange fit le tour du modèle, du modèle de femme de militaire, l'examina de près et soupira : "Elle a l'air bien, mais elle semble fragile."
"Elle a l'air peut-être fragile", répliqua le Seigneur, "mais elle possède la force du lion ! Vous n'imaginez pas tout ce qu'elle est capable d'endurer."
Finalement l'ange se pencha et fit glisser son doigt sur la joue de la création de Dieu. "Il y a une fuite", annonça-t-il, "et je ne suis pas surpris qu'il y ait une fissure, vous essayez d'en mettre tant dans ce modèle !"
Le Seigneur parut offensé par le manque de confiance de l'ange : "Ce que vous voyez là n'est pas une fuite, mais une larme."
"Une larme ! Pourquoi donc ?" demanda l'ange.
Le Seigneur répondit : "C'est pour la joie, la tristesse, la douleur, la déception, la solitude, la fierté, et c'est une dédicace à toutes les valeurs auxquelles son mari et elle-même sont attachés."
"Vous êtes un génie !" s'exclama l'ange."